A l’aide ou le rapport W d’Emmanuelle Heidsieck

mercredi 18 septembre 2013 § 1 commentaire

Couverture d'A l'aide ou le rapport W

Ce n’est pas tous les jours qu’on se retrouve avec une œuvre de fiction qui traite d’un sujet sur lequel on écrit depuis des années des textes de non fiction. Autant dire que ma position est un peu inconfortable pour parler d’A l’aide ou le rapport W d’Emmanuelle Heidsieck, fiction décrivant un nouveau stade de la lutte organisée par des politiques dites publiques contre les actes de don, de générosité ou de partage qui échappent à l’économie monétaire. Mais puisqu’après tout je pratique moi-même la coexistence des genres, pourquoi devrais-je choisir entre un commentaire littéraire et un commentaire politique ?

A l’aide ou le rapport W appartient à un genre en plein développement en ces temps où la réalité dépasse la fiction, la science-fiction hyperréaliste. Les deux principaux personnages (A et B) sont respectivement un cynique brutal déroulant sans complexe des politiques qui massacrent le lien social et un honnête travailleur peuplé de doutes qui trouve toujours (ou presque) moyen de s’asseoir sur ses doutes pour faire ce qu’on lui demande. Vous les rencontrez tous les jours. Ce coup-ci, ça ne rigole plus, plus de grignotage, on leur a demandé de définir une politique globale de lutte contre tous les comportements non lucratifs qui font concurrence à une possible économie marchande. La politique se cache derrière une appellation insipide « Aide Don Service ». Et là il ne s’agit pas seulement de les encadrer, mais d’organiser un système de détection et de répression massive avec des sanctions pénales. Le livre ne parle jamais du domaine dans lequel ces politiques sont déjà mises en œuvre « en vrai » (établissement de sanctions à hauteur de 3 ans de prison et 300,000 € d’amendes, construction d’un système de surveillance généralisé par des acteurs privés et même automatisation des sanctions contournant le judiciaire) : le partage entre personnes de fichiers numériques représentant des productions culturelles. Du point du lecteur, ce n’est pas un problème, bien au contraire, car il y pensera lui-même. Mais qu’en pense l’auteure ? En tout cas, cette omission n’a rien retiré à mon plaisir de lire.

Ce plaisir est réel, simplement parce que les personnages sont plus vrais que nature. Pas juste les deux personnages principaux, aussi les comparses et ceux qu’ils poursuivent ou citent en exemple de ce qu’il faudrait poursuivre : leur naïveté de croire qu’ils ne font que des choses très naturelles, leur sidération quand on s’empare d’eux. Il y a également un procédé, que je laisse le lecteur découvrir, par lequel Emmanuelle Heidsieck illustre ce qui sourd quand même quand on essaye de fermer toutes les pores de l’empathie.

L’auteure hésite entre décrire une offensive contre le non lucratif (désigné comme non profit par la Novlangue d’A) et une offensive contre le partage non marchand entre pairs et la mutualisation. Du point de vue de la fiction, cela porte. Il y a par exemple quelques passages subtils et décapants contre les marchands de la consommation collaborative ou sur le troc. L’absence des modes de partage ne reposant pas sur une relation directe entre personnes mais sur la création d’un bien commun auquel on donne et d’où l’on reçoit limite la portée de ce que le livre esquisse de résistance. Mais après tout, c’est bien qu’elle en laisse pour les autres.

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